« Ce n’est pas un musée », déclarait André Malraux, alors ministre de la Culture, lors de l’inauguration de la Fondation Maeght, le 28 juillet 1964. Ces mots décrivent encore aujourd’hui assez bien ces murs. La Fondation n’est ni un musée, ni un centre d’art, ni une institution culturelle, ni un parc de sculptures, ni un palais… C’est une histoire vivante d’amour et d’amitié entre un couple inspiré, merveilleux, visionnaire, Marguerite et Aimé Maeght, et celle des plus grandes figures de l’art du XXe siècle. Ce jour-là, il y a 60 ans, se produisit quelque chose d’inédit et de radicalement nouveau. Les portes s’ouvrirent d’abord pour accueillir uniquement des amis artistes et des personnalités de la culture autour de conférences sur l’art. Et elles ne se refermèrent plus depuis.
Quand on pénètre dans ce lieu, entouré par la nature parfumée de Saint-Paul de Vence, on ressent quelque chose d’indescriptible. Un philosophe, Vladimir Jankélevitch, le qualifierait de « je ne sais quoi ». C’est une étrange sensation d’émerveillement, de plénitude et de sérénité. Comme si le temps s’était arrêté, comme si rien n’existait hormis cette communion magique entre les éléments et les œuvres fondatrices des temps modernes. Marguerite et Aimé Maeght ont dû y laisser une part de leur âme. Cette fondation est née de l’amour des artistes vivants (dont la plupart sont aujourd’hui disparus) et pour partager avec tous les publics leur passion pour l’art moderne et contemporain. Depuis, des millions de personnes de tous les continents ont découvert cet esprit généreux habitant les murs, les jardins, les terrasses, la chapelle, la cour Giacometti et le labyrinthe Miró…
Souffrance, amitié et rédemption
Mais cette première fondation d’art moderne et contemporain en Europe est née de la souffrance et de la douleur. Marguerite et Aimé Maeght ont eu deux fils. Adrien préside toujours la Fondation, préservant sa mémoire et sa continuité. Il y avait aussi son frère cadet, Bernard. Emporté par une leucémie à l’âge de douze ans, ce drame a laissé une famille profondément marquée… une famille déjà profondément liée aux plus grands noms du monde de l’art. Marchands parisiens de Matisse et de Bonnard, les Maeght côtoyaient les plus grands précurseurs de la modernité : Miró, Braque, Chagall, Calder, Chilida, Giacometti, Léger…
Lorsque leur plus jeune fils est décédé, les artistes ont tout fait pour aider les parents dévastés. « Il faut faire quelque chose de grand ! » Tout le monde a encouragé le couple Maeght. « Je vous apporterai mon frottis. Je peindrai même les rochers », a déclaré Fernand Léger. Et Georges Braque a tout dit : « Quand j’ai un problème grave, j’opte pour quelque chose qui échappe totalement à mon contrôle. Pour que ce soit la seule chose à laquelle je puisse penser ! » C’est ainsi qu’est né ce projet fou, grandiose et totalement novateur.
La Fondation Maeght fête aujourd’hui son 60ème anniversaire en inaugurant de nouveaux espaces conçus par Silvio d’Ascia. L’architecte suit les traces de Josep Lluís Sert qui a conçu ce bâtiment historique, en s’intégrant dans le paysage, en respectant le relief, les arbres, le panorama, en préservant sa nature et son esprit.
« Nous avons doublé la surface sans toucher à l’existant. Nous avons creusé sous la cour Giacometti et fait fabriquer les matériaux d’époque à l’identique. Silvio d’Ascia a été choisi pour sa sensibilité et son respect du lieu. L’architecture de la Fondation est restée intacte. Rien n’ayant apparemment changé, le creusement nous a permis d’obtenir quelque 800 m² de salles d’exposition, une terrasse dédiée aux sculptures de Miró et de larges baies vitrées ouvrant sur la vallée », — explique l’administratrice de la Fondation, la petite-fille de Marguerite et Aimé, Isabelle Maeght.
Ces aménagements permettront de dévoiler au public davantage d’œuvres, compte tenu des impressionnantes collections de la Fondation (plus de 13 000 pièces). Grâce aux quatre nouvelles salles, une exposition permanente et une exposition thématique temporaire seront proposées simultanément.
Bonnard et Matisse cet été
L’exposition « Amitiés, Bonnard-Matisse pour les 60 ans de la Fondation Maeght » est ouverte jusqu’au 6 octobre. Les deux grands maîtres sont les premiers à se lancer dans cette fabuleuse aventure. Leurs liens avec le couple Maeght étaient indéfectibles. A tel point que, selon Isabelle Maeght, c’est son grand-père qui allait chercher à la gare d’Orsay Madame Matisse, déportée pour activités de Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Une belle illustration de cette amitié hors du commun. Il était donc tout naturel de choisir ces deux peintres pour la célébration du 60e anniversaire.
« C’est une exposition pleine de sensibilité et de tendresse », commente Isabelle Maeght. Des œuvres rares et de nombreux documents témoignent d’une histoire d’amitié et d’art entre les deux hommes. Leurs visions de la lumière azuréenne, de paysages, d’ateliers et de portraits, révèlent les particularités de chacun des maîtres. Une promenade onirique et fascinante illustrant l’importance du partage, des confrontations et des liens qui façonnent l’histoire de l’Art… celle que le couple Maeght a si bien servie tout au long de sa vie.
