Dans le premier volet de sa dernière chronique juridique, Patrick Laure revient sur l’essor de l’intelligence artificielle dans le monde juridique, retraçant ses racines, s’interrogeant sur sa portée, et rappelant que si les machines peuvent raisonner, seuls les humains peuvent ressentir…
Affaire civile
Négociation et règlement, avant le procès
Dans le cadre de l’intégration d’AI (I), mettant en perspective la profession d’avocat, appelée à être remplacée par AI (II), je souhaite partager avec vous une anecdote applicable à un dossier que j’ai traité en Principauté de Monaco (III).
Pendant que j’écoutais mon client, les mains enflées à force de travailler comme ouvrier, il m’exprimait sa détresse à l’égard de ceux contre lesquels il nourrissait un grief. Il se sentait lésé, trompé, mais surtout méprisé ; avec ses mains et ses ongles souillés par la terre, il ne faisait pas le poids face à ses détracteurs, aux ongles manucurés. C’était le cas de David contre Goliath. Il fallait que je le défende, noblesse oblige.
I/AI, genèse.
L’Intelligence Artificielle est à l’Homme 2.0, ce que la prose est à Monsieur Jourdain (1).
- Molière. Le Bourgeois Gentilhomme
Nous utilisons l’Intelligence Artificielle sans le savoir depuis plus de 40 ans.
Conceptualisé dans les années 1980, le CRM (Customer Relationship Management) est la première IA mise à notre disposition, « à notre insu et sans notre consentement », comme aurait dit Richard Virenque.
Le CRM, ancêtre de l’IA, est un logiciel qui permet aux entreprises commerciales, après approbation et mise en œuvre de données reflétant les goûts et les désirs de prospects ou de clients, de leur adresser des offres, en utilisant le langage martial des offres « ciblées ».
J’ai 30 ans et cela me fait sourire ; il est trop tard pour moi, j’ai déjà découvert et adopté mes goûts. Au mieux, le CRM confirmera ce que j’aime ; au pire, je serai agacé par les offres répétées, bis repetita non placent. « Je n’ai besoin de personne en Harley Davidson »(2)
- La chanson de Brigitte Bardot
Mais qu’arrivera-t-il aux jeunes de 10 à 20 ans ? Ils seront catégorisés contre leur gré, alors qu’ils commencent tout juste à se découvrir et que rien n’est plus lent que la naissance d’un être humain.
Pas encore complètement formés, les enfants et adolescents qu’ils sont, grâce à l’utilisation de l’Intelligence Artificielle, risquent de ne pas pouvoir développer leur esprit critique, nourrir leur libre arbitre, rencontrer et connaître leur imaginaire.
Pourraient-ils devenir des âmes artificielles, se demandant avec qui interagir, avec qui parler ? Si ce n’est le CRM, désormais sous forme d’algorithmes, qui leur aura été imposé, pire encore, implantant une personnalité qui n’est que le reflet de leur construction naturelle en devenir, voire de son imperfection.
En 2002, j’ai déménagé dans une nouvelle ville. Lorsque j’ai fourni les informations demandées par la mairie pour m’inscrire comme nouveau résident, le coiffeur local a connu ma date de naissance grâce à mes informations personnelles.
Le jour de mon anniversaire, j’ai reçu une belle carte d’anniversaire par la poste, accompagnée d’un « chèque cadeau » pour une coupe de cheveux. Le coiffeur dispose d’un excellent système CRM, mais je suis chauve. Si Yul Brynner n’avait pas existé, j’aurais porté plainte pour diffamation.
En 1996, après que Kasparov ait remporté le premier match contre Deep Blue, Deep Blue a remporté le deuxième match contre Kasparov. Étonnamment, Deep Blue n’a pas gagné le premier match. Kasparov aurait-il pu nourrir l’intelligence pure de Deep Blue ? Un autre match a suffi à renverser la situation et la machine a vaincu l’homme.
De toute évidence, Deep Blue était bien né ; il suffisait d’une petite correction pour que l’élève surpasse son maître. Mais merci, Kasparov, car sans votre contribution au premier jeu joué, Deep Blue serait resté perfectible à jamais.
Deep Blue était destiné à l’élite, il était donc rare de le rencontrer. L’IA qui s’adressait à tous était les calculatrices HP 12C ou Sharp 1500, interdites aux examens du baccalauréat en 1997.
En 1998, la Poste invente la lettre « prête à poster », et nous entrons dans l’ère du « prêt à décorer », du « prêt à réfléchir » et du « prêt à penser ».
⃰
•Quand l’IA baisse le masque, ou le pouvoir du marketing.
Alors que ma génération a adopté le CRM après avoir atteint sa maturité, les jeunes âgés de 10 à 20 ans, la génération Z, ont été élevés avec le CRM. Maintenant qu’ils sont devenus adultes, l’IA doit leur parler et interagir avec eux.
L’IA se présente à eux comme une entité à part entière, presque dotée de conscience, un ami à qui on fait appel pour poser une question parce qu’il y a un problème à résoudre. Son nom est ChatGPT, Claude Sonnet 4, DeepSeek, etc…
L’IA a enfin sa propre identité : c’est Skynet de Terminator,’Je reviendrai‘ (3). Terminator nous a prévenu avec sa métaphore subliminale. Voilà, l’IA est là, se présentant à nous sous le nom de ChatGPT, Version 1, 2, 3, 4, comme Terminator 1, 2, 3.
- Terminateur, film
En 2023, le concours du Barreau de New York a été remporté par l’Intelligence Artificielle (Deep Blue version 2.0), qui avance désormais sans masque.
Il semble que tous les grands esprits avancent masqués, mais il est clair que l’Intelligence Artificielle n’est pas un grand esprit.
En fait, il le reconnaît lui-même.
« Même si l’intelligence artificielle peut offrir un soutien supplémentaire aux avocats, elle ne remplacera pas complètement les avocats dans un avenir proche. Le travail des avocats implique des compétences et des qualités humaines qui ne peuvent pas être facilement reproduites par des machines.
Nous pouvons donc être assurés que dans un « avenir proche », il y aura encore de la place pour les avocats. Mais qu’en est-il du futur lointain ? La question demeure.
Patrick LAURE
Secrétaire Particulier
06 35 45 27 02
laurepatrick@wanadoo.fr
** Les informations fournies dans cet article sont uniquement à des fins d’information générale et ne constituent pas des conseils juridiques. Il n’est pas destiné à créer une relation avocat-client. Les lois et réglementations varient selon les juridictions et peuvent changer au fil du temps. Les lecteurs devraient consulter un professionnel du droit qualifié pour obtenir des conseils spécifiques à leur situation. L’auteur et l’éditeur ne sont pas responsables des actions entreprises sur la base de ces informations.