Partie 22 de notre série Histoire de Monaco
Après la dissolution du Parlement par le prince Rainier en 1959, les événements à Monaco se succédèrent rapidement. De nombreuses nouvelles entreprises s’installent en Principauté et le nombre de tours dans le ciel augmente également très rapidement. Toutes ces activités attirent encore davantage de personnes et d’entreprises qui s’installent en Principauté.
La présence de Martin Dale et d’investisseurs américains commence à inquiéter Paris. La France reste la protectrice de Monaco, mais les irritations grandissent face aux agissements du prince Rainier et de ses conseillers. Cela était principalement dû aux nombreuses « sociétés boîtes aux lettres », françaises mais installées à Monaco en raison des avantages fiscaux. En outre, de nombreux Français ayant servi en Algérie – les « pieds noirs » – ont cherché refuge à Monaco après la guerre d’indépendance algérienne pour profiter de leur retraite sans soucis financiers.
Le ministre français des Finances, puis président, Valéry Giscard d’Estaing, avait appelé lors d’une émission télévisée des millionnaires bien connus, qui résidaient officiellement à Monaco, pour les dénoncer comme des fraudeurs fiscaux. Aucun d’eux n’a répondu au téléphone. « Il ne faut pas s’étonner car tous ces gens sont censés vivre à Monaco mais vivent à Paris, car je les y croise souvent sur les Champs-Elysées », a expliqué pontificalement le ministre à la télévision française.
L’irritation était encore plus grande à Paris car Monaco possédait sa propre radio, Radio Monte Carlo, qui était une station commerciale. C’était interdit en France, mais RMC est devenu très populaire. Le gouvernement français a préféré restreindre cette chaîne car elle constituait un concurrent évident des radiodiffuseurs publics français. Pour continuer à diffuser en France, Monaco avait besoin de l’autorisation du gouvernement français et en échange, la France exigeait une part majoritaire dans la société, pour contrôler le contenu des émissions. Rainier était agacé par cette ingérence française et considérait le souhait français comme une atteinte à l’indépendance de la radio et indirectement de son pays.
Le ministre d’État nommé par la France, Emile Pelletier, demande au prince Rainier de reconsidérer sa position sur la question, mais le prince reste ferme et renvoie son ministre après une violente altercation dans la nuit du 23 janvier 1962. On peut parler d’une décision immédiate. mais le ministre d’État étant nommé par la France, il ne pouvait être révoqué que par le gouvernement français. Il y a donc eu une crise constitutionnelle.
Pelletier est expulsé de force du Palais. Le lendemain matin, il se présente immédiatement à l’Elysée pour une réunion au sommet avec le président de Gaulle et le Premier ministre Debré. On craignait que le prince Rainier soit trop influencé par les Américains et se soucie peu de la France. Il fut même brièvement envisagé d’envahir ou d’isoler Monaco via un blocus naval. La crise a duré quelques semaines, mais le prince Rainier a finalement dû lui-même présenter ses excuses au gouvernement français, sous forte pression. Cela marque le début des négociations entre les deux pays car RMC n’est certainement pas le seul motif de mécontentement à Paris. Le système fiscal utilisé par de nombreux entrepreneurs français et notamment les retraités algériens était également en discussion. La France a exigé que Monaco adapte son système fiscal aux règles françaises.
Mais les négociations furent si lentes que, le 12 octobre, les Français perdirent patience. Il fut décidé de bloquer Monaco. Par arrêté du ministre Giscard d’Estaing, les frontières entre la France et Monaco à Cap d’Ail et Roquebrune ont été fermées après un énième échec des négociations entre les deux délégations.
Ce soir-là, il y eut du gros temps entre la Tête de Chien et le Rocher et soudain un poste de douane fut installé à la frontière. En quelques minutes, de longs embouteillages se sont formés des deux côtés de la frontière. Même le prince Rainier III s’est retrouvé coincé dans les embouteillages car il revenait à peine de la réunion avortée à Paris. Il n’avait pas envisagé un tel scénario. Il y voit une pure provocation de la part de la France.
Monaco a pris des mesures rapidement car la crise était grave. Les habitants de Monaco craignaient que leur pays soit coupé de l’eau, du gaz et de l’électricité. Le prince Rainier s’est adressé dans la journée à son peuple via un message oral sur RMC : « Le gouvernement français veut nous imposer une fiscalité que nous ne pouvons pas accepter. Selon nous, il s’agit d’une manière injustifiée de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. C’est pourquoi le gouvernement français a mis fin aux négociations et décidé de ces mesures.»
Les postes frontières sont restés opérationnels pendant quelques semaines, jusqu’à ce que le prince Rainier montre que son gouvernement était disposé à poursuivre les négociations avec le président de Gaulle. « À l’époque, je me sentais comme un écolier peu sûr de lui. Il a agi comme un professeur et a accepté les excuses pour ma mauvaise conduite », racontera plus tard Rainier à propos de la réunion. De Gaulle voulait s’asseoir avec Rainier pour parvenir à un nouvel accord fiscal. Les sociétés dites boîtes aux lettres ont dû disparaître et les « pieds noirs » ont dû payer des impôts en France. Le prince Rainier a refusé de parler de l’introduction du système fiscal français mais a fait une contre-offre remarquable. Le gouvernement français a accepté cela après renégociation.
Le 18 mai, les deux pays ont signé un traité promettant à Monaco de taxer les bénéfices des entreprises réalisant plus du quart de leur activité en dehors de la Principauté. Par ailleurs, tous les ressortissants français installés à Monaco à partir du 13 octobre 1957 étaient soumis à la réglementation fiscale française. Un régime transitoire a été prévu pour tout Français venu de l’étranger à Monaco entre 1957 et 1962. Cette règle s’appliquait notamment aux Français d’Algérie. Ils ne seront soumis à la fiscalité française qu’à partir de 1965 et bénéficieront de deux années d’exonération fiscale en compensation de ce changement de loi.
Mais le traité a également apporté un autre changement. La France a accepté un arrangement selon lequel Monaco rembourse une partie de l’impôt payé par les Français résidant en Principauté. En échange, la France a accepté de reverser tous les impôts sur les travailleurs français à Monaco au Trésor public monégasque. La France a également dû rembourser les recettes de TVA sur les produits monégasques. Il y aurait eu beaucoup à dire plus tard sur ce qu’on appelle le « compte de passage ». La France continue de garantir à Monaco une défense militaire et conserve le droit de nommer le ministre d’État ainsi que le chef de la justice monégasque et de la police. De plus, les Monégasques n’étaient pas éligibles à certains postes au sein du gouvernement monégasque.
Pendant ce temps, Rainier avait également besoin du soutien de son peuple après le blocus français. Pour convaincre les Monégasques, il décide d’instaurer un nouveau Parlement par le biais d’une nouvelle constitution, deux mois après la fermeture temporaire des frontières par la France, le 17 décembre 1962. « Monaco est un pays souverain et indépendant, dans lequel les principes des droits de l’homme et les conventions particulières de la France s’appliquent. Monaco est une monarchie constitutionnelle avec des droits fondamentaux de liberté et d’égalité », peut-on lire dans la première phrase de la nouvelle Constitution.
Il y a eu quelques changements notables. La foi catholique est devenue religion d’État, les femmes ont obtenu le droit de vote, la peine de mort a été abolie et le pouvoir judiciaire est devenu indépendant. La nouvelle constitution réduisait le pouvoir du monarque au pouvoir, car il devait coopérer avec un Conseil des ministres dirigé par un ministre d’État nommé par la France, et ce gouvernement serait contrôlé par le Conseil national, composé de dix-huit membres élus par le Parlement. Monégasques.