Comment le prince Rainier a contré les critiques françaises et conclu un nouvel accord

Numéro 25 de notre série Histoire de Monaco

Grâce à sa diplomatie, le Prince Rainier III a veillé à ce que Monaco, en tant que pays indépendant, soit pris de plus en plus au sérieux et ne soit pas considéré comme un anachronisme dans la société moderne. Grâce aux bonnes relations que le monarque monégasque entretenait avec le président français François Mitterrand, Monaco devient officiellement membre des Nations Unies en 1993, la 183ème. Cela signifiait la reconnaissance mondiale de l’indépendance du pays. Le prince Rainier était ravi le moment venu.

« C’est un jour important dans la longue histoire de notre pays, car il y a désormais une certitude sur l’avenir de Monaco car nous pouvons compter sur la solidarité des pays qui nous entourent. Nous allons désormais nous préoccuper davantage de notre environnement et coopérer encore davantage avec nos voisins. J’espère que Monaco pourra contribuer à la paix mondiale à l’avenir », a déclaré le Prince lors de son discours inaugural à New York. En cas d’un éventuel conflit avec la France, Monaco pourrait compter sur le soutien des autres Etats membres, qui lutteraient pour l’indépendance du pays. Mais le Prince a immédiatement précisé que ce n’était pas la raison pour laquelle Monaco souhaitait être admis à l’ONU.

À peu près à la même époque, Monaco était également impliqué dans des discussions sur une union monétaire au sein de l’UE (Maastricht) et sur la libre circulation au sein de l’UE (Schengen) en raison de l’union douanière avec la France. Monaco a également été admis dans la zone euro, même s’il n’était bien sûr pas membre de l’UE. Cela signifiait que Monaco devait se conformer aux accords internationaux en matière d’évasion fiscale, de criminalité et de malversations financières, comme le blanchiment d’argent.

« Cette adhésion met immédiatement fin au mythe selon lequel Monaco serait un paradis fiscal, qui ne veut pas adhérer aux normes du reste du monde », a estimé le prince Rainier. Au niveau international, Monaco a souvent été mis sous un mauvais jour en raison du blanchiment de capitaux contaminés. Le prince Rainier a donc immédiatement annoncé qu’il ferait tout pour lutter contre ces pratiques dans son pays. « Personne ne devrait abuser des règles favorables du système bancaire de mon pays. Nous ne pouvons nous permettre aucun risque dans ce domaine », a déclaré le monarque dans une interview en direct sur une chaîne de télévision française.

Peu de temps après, un institut spécial (SICCFIN) était créé pour lutter contre le blanchiment d’argent noir en Principauté. Néanmoins, le monde financier monégasque a été impliqué à plusieurs reprises dans un scandale au cours de cette période. Par exemple lors de la faillite de la Banque Industrielle de Monaco, où de nombreux Français riches avaient mis leur argent, souvent noir, et l’avaient vu disparaître comme neige au soleil. Mais à partir de 1995, les règles permettant aux banques de retracer l’origine de l’argent sont devenues de plus en plus strictes. De plus, selon le traité de 1963, le ministère français des Finances maintenait un contrôle permanent sur le système bancaire monégasque.

Au tournant du millénaire, les critiques à l’égard de la Principauté de Paris se sont à nouveau multipliées lorsque le gouvernement socialiste a commandé un rapport sur le monde financier à Monaco. « Le pays reste extrêmement vulnérable au blanchiment d’argent », concluent les chercheurs Vincent Peillon et Arnaud Montebourg. A Monaco, la population a réagi avec indignation à ce rapport, tandis que le Premier ministre Lionel Jospin a voulu annoncer des mesures contre Monaco. Après 37 ans, une nouvelle crise semblait se produire entre l’État nain et son protecteur. Le gouvernement monégasque a surtout essayé de démentir autant que possible ces accusations en soulignant que le monde financier monégasque était supervisé par le ministre français des Finances, Laurent Fabius, et ne pouvait donc guère être blâmé.

Ce faisant, les autorités monégasques avaient pleinement coopéré aux demandes formulées par la France. « C’est tout ce que nous pouvons faire. Il est idiot de prétendre que Monaco ne coopère pas. Les enquêteurs français visent apparemment à donner une mauvaise image de notre pays », a déclaré le directeur du tribunal monégasque, Patrick Davost. Remarquablement, le président Jacques Chirac s’est distancié de toute critique du gouvernement français à l’égard de Monaco.

Fabius fut un peu surpris par la réaction sobre, mais féroce, du Palais. Et enfin, le prince Rainier s’est mis en scène en indiquant dans un entretien au quotidien Le Figaro, le 31 octobre 2000, que Monaco souhaitait rompre avec la France s’il le fallait. « Je trouve les accusations françaises contre nous très décevantes, d’autant plus qu’elles ont été portées par un pays ami sur un ton méchant, offensant pour Monaco. Je pense qu’il aurait été préférable que Paris emprunte la voie diplomatique du signalement d’éventuels échecs… Les accusations ne sont pas fondées. En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d’argent, nous travaillons ici avec des moyens plus stricts que la plupart des pays. Je voudrais également souligner que chaque position vulnérable de notre système politique, juridique et financier comprend un Français nommé par Paris. Je ne peux pas imaginer que ces gens fassent des erreurs volontairement.

A Monaco, les gens ont été très surpris et ravis de cette prise de position du prince Rainier. Il cherchait à attaquer alors que beaucoup de gens pensaient qu’il se glisserait dans sa coquille. Mais c’est précisément le prince âgé et fragile qui a une fois de plus montré sa force en tant que chef de l’État. Un jour plus tard, le gouvernement français a répondu par une déclaration affirmant que le traité entre les deux pays pourrait être révisé. S’ensuivent quelques négociations qui, comme en 1963, n’aboutissent pas, mais cette fois la France ne parvient pas à imposer sa volonté à Monaco en tant que membre à part entière des Nations Unies.

Lorsque les socialistes perdirent également douloureusement les élections présidentielles, lorsque Le Pen accéda au second tour aux dépens de Jospin, le gouvernement français fit rapidement la paix avec le gouvernement monégasque et un nouveau traité fut signé le 22 juin 2004. « L’amitié entre les deux pays est la base de ces accords », tel était le message des deux gouvernements.

A partir de ce moment, le monarque de Monaco est à nouveau autorisé à choisir le ministre d’État sur une liste de cinq candidats fournie par la France. Une fois de plus, le prince Rainier avait montré qu’il ne fallait pas le déranger.