On n’a plus notre place en Corse, des villages dénoncent le comportement des touristes

Les ruelles se remplissent, les places trébuchent sous les pas, et la mer miroite encore. Pourtant, un malaise s’installe, diffus, tenace, chez ceux qui vivent ici toute l’année.

La saison apporte des emplois, des sourires et des tables pleines, mais aussi des gestes qui heurtent et des règles piétinées. Entre hospitalité sincère et exaspération grandissante, la ligne devient fine.

Des gestes qui font déborder le vase

Dans certains hameaux, le stationnement envahit les entrées de maisons et bloque les champs. Des drones bourdonnent au-dessus des toits, des serviettes “réservent” des criques entières dès l’aube.

Des randonneurs coupent les sentiers, écrasant des plantes endémiques, et des scooters dévalent les villages à toute vitesse. Ici, la montagne est fragile et la côte resserrée, chaque incivilité pèse double.

“On ne demande pas la lune, juste le respect des lieux”, souffle Annamaria, résidente à l’année. Un berger raconte les chiens laissés libres qui effraient ses bêtes.

Un pêcheur évoque les mouillages sauvages qui arrachent les posidonies, ces prairies qui protègent le littoral.

Quand l’économie vacille aussi

Le tourisme est une ressource vitale, mais l’équilibre reste précaire. Les loyers s’envolent, les commerces se saisonnalisent, et la vie quotidienne devient une suite de contournements.

“Je travaille bien l’été et je serre les dents l’hiver”, glisse Lucia, restauratrice. Les revenus affluent, mais partent parfois aussi vite que les vacanciers, avec trop peu de retombées durables.

Dans plusieurs bourgs, les épiceries ferment à l’automne, les médecins manquent, et la route devient un entonnoir dès la fin d’après-midi.

La richesse existe, mais la répartition bute sur des rythmes trop brusques et une logistique saturée.

Ce que les communes observent

Les mairies voient des tendances se confirmer, et ajustent leurs règles à marche forcée.

Aspect Printemps/Hors saison Plein été
Fréquentation Modérée, respect des rythmes Explosive, files et attroupements
Stationnement Gérable, zones libres Saturé, chemins obstrués
Déchets Limités, collecte fluide Pics, poubelles débordent
Sentiers Préservés, balisage suivi Érosion, hors-piste fréquent
Convivialité Rencontres, échanges calmes Tensions, cris et nuisances
Mesures Pédagogie, signalétique douce Contrôles, quotas et amendes

“On veut garder notre âme, pas devenir un parc à selfies”, résume un maire. Les gendarmes notent des pics de bruit nocturne et de conduite imprudente.

“Ce n’est pas la majorité, mais une minorité très visible”, précise un agent.

Voix du terrain

“Je ferme l’accès aux oliveraies, sinon c’est dégradé en deux jours”, dit un agriculteur.
“Nos jeunes ont besoin de travail, pas de vacarme à minuit”, souffle une enseignante.

“On adore ces paysages, on veut faire bien”, répond Léa, touriste répétitrice.
“Donnez-nous les règles dès le ferry, on s’y tiendra”, ajoute un couple allemand.

Réguler sans se renier

Les communes avancent des outils concrets, pour protéger sans fermer.

    • Réservations obligatoires sur certains chemins, avec jauges claires
    • Navettes collectives vers plages et sites sensibles
    • Interdiction des mouillages sur posidonies, bouées écologiques
    • Zones de stationnement payantes aux entrées de villages
    • Charte de bonnes pratiques distribuée dès l’embarquement maritime
    • Amendes graduées pour bruit, déchets et drones
    • Guides locaux accrédités, valorisés par des visites responsables

“Réguler, ce n’est pas punir, c’est partager l’espace”, assure une élue. La pédagogie précède la sanction, mais la sanction rassure quand la pédagogie échoue.

Ailleurs, des pistes inspirantes

Des îles baléares testent des limites de locations et des taxes adaptées. À Venise, la réservation devient un passage quasi obligé certains jours. Dans les Calanques de Marseille, un système de quotas a évité des fermetures brutales.

Ces expériences prouvent qu’un tourisme choisi peut mieux protéger les habitants et les espaces.

Les villages corses veulent des outils taillés pour leurs réalités: relief accidenté, réseau routier étroit, patrimoine vulnérable et identité vivante. Rien de copié, tout de ciselé.

Un été charnière

La saison s’ouvre avec des attentes claires: des visiteurs curieux, respectueux des chemins, attentifs aux horaires, sobres en bruit et en eau. Les gestes simples changent l’ambiance: dire “Bonghjornu”, garder ses déchets, lever le pied, éviter le hors-piste, respecter les panneaux.

Les habitants ne réclament pas la désertion, ils demandent une attention vraie. La beauté n’est pas un droit, c’est un prêt fragile. On peut venir pour la mer, la pierre, la maquis et repartir avec une amitié durable, si chacun garde sa place et ses mots.

Entre mer et montagne, l’été peut redevenir un accord plutôt qu’un bras de fer. Il suffit d’un peu de mesure, de clarté dans les règles, et d’un respect mutuel qui ne coûte presque rien. Les villages restent ouverts, à condition que leurs portes ne soient pas forcées.