Au bord de la Bienne, une carcasse de briques reprend souffle. Longtemps laissée muette, l’ancienne papeterie se réveille sous les échafaudages. On y entend déjà le frottement des idées autant que celui des outils.
Le projet promet un lieu vivant, traversé par l’eau, la lumière et la mémoire des machines. Les habitants parlent d’un futur partagé, d’un espace où l’on viendra autant pour créer que pour respirer. La métamorphose s’écrit à la première personne du pluriel, avec des mains de pros et des rêves de quartier.
Un patrimoine industriel réinventé
L’architecture garde ses os, mais change de peau. Les sheds seront désamiantés, les grandes travées ouvertes aux publics, la charpente en bois renforcée, les briques sablées pour retrouver leur grain.
« Nous voulons faire vibrer cette friche sans en effacer la mémoire », souligne la maire, évoquant un projet pensé « pour les habitants et par les habitants ».
Aux fenêtres, de nouvelles menuiseries à rupture de pont thermique, des vitrages filtrant la chaleur, et des persiennes qui rappellent la cadence des bobines. L’ancienne halle des pâtes devient un forum, la salle des chaudières un théâtre, les bureaux une médiathèque tournée vers l’image et le son.
« On garde la charpente, on répare les cicatrices, on ajoute des pièces juste nécessaires », décrit l’architecte, partisan d’une réversibilité maximale.
Un chantier exemplaire
Le chantier se veut sobre, pensé comme un prototype territorial. Une grande partie des matériaux sera réemployée: pavés, gardecorps, bois massif.
Les bétons sont partiellement bas-carbone, la toiture accueille du photovoltaïque discret, et une boucle d’eau tempérée captera la fraîcheur riveraine. « Chaque tonne épargnée de CO2 compte autant que chaque heure de vie rendue au site », glisse la cheffe de projet.
Côté gouvernance, la collectivité s’allie à une société d’économie mixte, avec un montage finançable par fonds européens, mécénat local et contrats de performance énergétique.
Le calendrier annonce un premier levée de rideau à l’automne 2027, après une année de fouilles et de curage minutieux.
Un lieu pour tous
L’ambition est simple: ouvrir des portes dès le premier jour et ne plus les refermer. Les espaces seront accessibles, modulables, prêts à accueillir autant les « grands récits » que les petites formes.
Une garderie artistique, des ateliers d’écriture, des studios d’enregistrement libres, un café-atelier tourné vers les circuits courts.
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- Des résidences d’artistes, un pôle de danse, une fabrique d’images et de sons, des expositions participatives, des marchés créatifs et des week-ends de fête
« On aura enfin un lieu ouvert à l’année, pas seulement lors des festivals », se réjouit Aïcha, habitante du quartier.
Un professeur de musique voit déjà un orchestre amateur dans l’ancienne salle des machines: « L’acoustique brute est magnifique, on y sent le souffle de la rivière. »
Repères chiffrés
Pour mesurer le bond, un rapide état des lieux.
| Critère | Avant: papeterie | Après: centre culturel |
|---|---|---|
| Fonction | Production de papier | Création et diffusion |
| Surface utile | 8 500 m² bruts | 6 300 m² exploités |
| Emplois directs | 0 (site clos) | 65 équivalents temps plein |
| Fréquentation/an | Nulle, accès interdit | 180 000 visiteurs estimés |
| Énergie | Vapeur/fioul historiques | EnR, PV et récupération de chaleur |
| Conso énergie | 420 kWh/m²/an estimés | 85 kWh/m²/an cible |
| CO2 annuel | 1 400 tCO2e estimées | 260 tCO2e cible |
| Nuisances | Bruit industriel | Activités à horaires maîtrisés |
| Accès public | Aucun accès | Libre, inclusif et sécurisé |
| Coûts | — | 18,6 M€ de réhabilitation (vs 24 M€ démolition + neuf) |
Ces chiffres restent indicatifs, ils balisent un chemin de progrès. L’enjeu n’est pas la perfection, mais une amélioration mesurable sur toute la ligne.
Ce que cela change au quotidien
Le quartier gagne un cœur, la vallée une nouvelle adresse. Les commerces voisins trouveront un flux régulier, les écoles un terrain d’expériences, les associations des créneaux gratuits à certaines heures.
Les façades s’illumineront avec un éclairage doux, pensé pour la faune nocturne.
La programmation se tissera avec des voisins, des conservatoires, des compagnies indépendantes, des artisans qui partageront leurs gestes.
Les week-ends croiseront bal populaire et concerts expérimentaux, grand écran et cuisine solidaire. Les lundis soir resteront pour le silence, les répétitions et les idées qui murissent.
Une promesse qui tient au lieu
Tout part de la matière: le bois qui craque, la brique qui respire, les poutres qui dessinent une cadence. On ne gomme pas la patine, on la apprivoise.
Ce centre ne veut pas être un objet hors sol, mais une pièce du paysage où l’on revient sans rendez-vous. « On ne construit pas un monument, on rouvre une maison commune », résume un médiateur culturel.
Si le planning reste tenu, les premières salles pilotes verront le jour au printemps 2027, histoire de tester les usages avant la grande ouverture.
D’ici là, le chantier se visite à dates fixes, casque sur la tête, curieux à la queue leu leu. Et la rivière continue sa ronde, comme un métronome patient pour cette renaissance très attendue.