Un géant amphibie aux dimensions record
Fruit d’un programme entamé il y a quinze ans, l’AG600 « Kunlong » s’impose comme un colosse des airs et des mers. Avec 38,9 mètres de longueur et une envergure de 38,8 mètres, il dépasse plusieurs variantes du Boeing 737 par son gabarit opérationnel. Sa hauteur de 11,7 mètres et sa masse maximale au décollage de 60 tonnes en font une plateforme exceptionnelle.
Conçu pour opérer sur terre comme sur eau, le Kunlong peut décoller et amerrir sur mers, lacs et fleuves. Des flotteurs de plus de 4 mètres à l’extrémité de chaque aile garantissent une stabilité remarquable à la surface. Cet atout ouvre l’accès à des zones isolées où les pistes sont rares ou impraticables.
Cette capacité amphibie évoque l’élégance d’un canard se posant sur l’eau, malgré l’échelle et la complexité d’un appareil de 60 tonnes. L’aérodynamique et l’hydrodynamique se conjuguent ici dans une ingénierie de précision, pensée pour absorber les contraintes d’impact et de remous.
Quinze ans d’itérations jusqu’à la chaîne
Le parcours, entamé en 2009, a multiplié essais, calibrations et certifications jusqu’au passage à la production de série. Chaque jalon a servi à éprouver la cellule, les systèmes et les procédures industrielles, de la soufflerie aux essais sur mer.
- 2009 : phase de conception et de design
- 2017 : premier vol réussi
- 2018 : premier décollage depuis un réservoir
- 2020 : premiers tests d’amerrissage et décollage en mer
- 2023 : démonstration de lutte anti-incendie
- 2025 (11 juin) : certification autorisant la production de masse
Le feu vert délivré par l’Administration de l’aviation civile de Chine atteste du niveau d’airworthiness de la chaîne AVIC à Zhuhai, dans le Guangdong. La reproductibilité des processus qualité et la traçabilité documentaire ont été validées pour une montée en cadence nationale.
« Ce programme n’est pas seulement l’aboutissement d’un prototype, c’est l’industrialisation d’un savoir-faire amphibie à grande échelle. »
Capacités et missions critiques
Le Kunlong est pensé comme un multirôle. Premier domaine, la lutte contre les incendies de forêt : l’appareil écoppe jusqu’à 12 tonnes d’eau en une seule prise, puis effectue des largages précis sur les foyers. Son rayon d’action d’environ 4 500 kilomètres permet d’intervenir sur des sites reculés sans escale.
En gestion de catastrophes, l’AG600 peut ravitailler et évacuer des victimes dans des zones privées de pistes, après typhons, tsunamis ou inondations. La possibilité d’amerrir au plus près des côtes ou des archipels confère une agilité que ne possèdent pas les avions classiques. Dans des régions fragmentées par la géographie, cet avantage se traduit par des heures précieuses gagnées pour le secours.
L’appareil peut aussi se configurer pour la surveillance maritime, la recherche et le sauvetage, voire des missions logistiques en réseau de bases amphibies. La cellule robuste, la motorisation à hélices et les renforts anticroision sont dimensionnés pour la corrosion saline et les chocs répétés à la surface.
Un duel singulier avec le 737
Comparer l’AG600 au Boeing 737 éclaire sa vocation. Là où un 737-800 affiche 39,5 mètres de longueur et 35,8 mètres d’envergure, le Kunlong oppose une surface portante supérieure et des volumes pensés pour l’eau. Sa masse maximale au décollage est inférieure à celle d’un 737 commercial, mais son architecture favorise la flottabilité, la stabilité en vagues et les cycles d’amerrissage.
L’intérêt ne réside pas dans la densité de sièges, mais dans la combinaison d’accès, d’endurance et de polyvalence. Il s’agit d’un « avion-bateau » conçu pour des missions que les monocouloirs ne peuvent pas accomplir, même avec des pistes courtes.
Portée industrielle et stratégique
Le passage à la production matérialise une autonomie croissante dans des technologies d’aéronefs spéciaux. Les retombées irrigueront les chaînes de fournisseurs, depuis les alliages résistants à la corrosion jusqu’aux traitements de surfaces et aux systèmes avioniques marinisés.
Pour l’écosystème, c’est un levier d’apprentissage transférable à d’autres plateformes de grande dimension. La Chine consolide ainsi un segment de niche, mais à fort impact, où la barrière d’entrée est technique, réglementaire et industrielle.
AVIC prévoit d’étendre la famille Kunlong en variantes dédiées : bombardier d’eau, secours d’urgence, patrouille maritime et logistique côtière. Cette modularité vise un réseau de réponse rapide, capable d’agréger capteurs, drones et navires de soutien autour d’un pivot aérien amphibie.
Au-delà du symbole, l’AG600 démontre qu’une plateforme peut redéfinir la mobilité entre ciel et mer. Dans un monde de risques climatiques croissants, la capacité à franchir les frontières physiques — pistes absentes, infrastructures dégradées, distances maritimes — devient un multiplicateur d’efficacité opérationnelle. Ici, l’ingénierie se met au service d’un besoin urgent: apporter secours, eau et logistique là où la terre ne suffit plus.